Le boycott électoral est un épisode récurrent dans l’histoire politique ivoirienne. En trente ans, le pays en a connu trois majeurs : en 1995, en 2000 et en 2020. À chaque fois, les oppositions ont invoqué des motifs similaires : exclusion de candidats, contestation du cadre électoral ou refus des conditions d’organisation du scrutin. Ces épisodes traduisent les difficultés de la classe politique à s’accorder sur les règles de la compétition démocratique.
I. 1995 Le premier grand boycott
L’année 1995 restera gravée comme le premier grand boycott de l’histoire politique ivoirienne. Le contexte est tendu : Henri Konan Bédié, successeur constitutionnel de Félix Houphouët-Boigny, fait adopter un nouveau code électoral exigeant que les deux parents d’un candidat soient ivoiriens d’origine. Cette disposition exclut de facto Alassane Dramane Ouattara, alors accusé d’être d’origine burkinabé. Laurent Gbagbo, leader du Front populaire ivoirien (FPI), et Ouattara, à la tête du Rassemblement des Républicains (RDR), s’allient pour former le Front républicain et dénoncent une élection « taillée sur mesure ».
Les deux partis appellent au boycott du scrutin et à la désobéissance civile.
Malgré ces appels, le scrutin a lieu. Henri Konan Bédié est élu avec plus de 96 % des voix. Le taux de participation reste faible, et le pays est secoué par des violences et des arrestations. Ce boycott de 1995 ouvre la voie à une période d’instabilité politique et jette les bases du clivage qui marquera la décennie suivante.
II. 2000 Le boycott sous le signe de l’exclusion
Cinq ans plus tard, l’histoire semble se répéter. Le coup d’État militaire de décembre 1999 renverse Bédié et porte au pouvoir le général Robert Gueï. Une élection présidentielle est convoquée en octobre 2000.
Mais la Cour suprême invalide plusieurs candidatures, dont celles d’Alassane Ouattara (RDR) et d’Henri Konan Bédié (PDCI). Face à ce qu’ils considèrent comme une mascarade, le RDR et le PDCI appellent au boycott. Laurent Gbagbo, seul grand candidat autorisé à se présenter, se retrouve face au général Gueï.
Le scrutin se déroule dans un climat de grande insécurité, émaillé de violences et d’accusations de fraudes. Lorsque Robert Gueï refuse de reconnaître sa défaite, des manifestations éclatent à Abidjan. Finalement, Laurent Gbagbo est proclamé vainqueur et accède au pouvoir. Ce second boycott fragilise davantage les institutions et accentue la fracture politique. Deux ans plus tard, la Côte d’Ivoire s’enfonce dans une crise politico-militaire qui divise le pays en deux.
III. 2020 Le boycott du troisième mandat
Vingt ans plus tard, la Côte d’Ivoire connaît un nouveau boycott, cette fois autour de la question du troisième mandat présidentiel. En août 2020, Alassane Ouattara annonce sa candidature après le décès de son successeur désigné et frère, Amadou Gon Coulibaly.
L’opposition, menée par Henri Konan Bédié (PDCI) et Pascal Affi N’Guessan (FPI), conteste cette décision, estimant qu’elle contrevient à la Constitution.
Les deux principaux candidats appellent à un boycott actif du processus électoral et dénoncent un cadre non consensuel. Le scrutin se tient dans un contexte de tensions localisées dans certaines régions. Des incidents isolés sont enregistrés, faisant une dizaine de morts selon plusieurs sources.
Alassane Ouattara est réélu avec 94 % des voix, dans un scrutin marqué par une participation estimée à environ 53 %.
Malgré la contestation, les institutions électorales et constitutionnelles confirment les résultats, et le pouvoir en place est maintenu.
IV. Entre contestation et méfiance durable
Les boycotts successifs ont eu plusieurs conséquences sur la vie politique ivoirienne. Ils ont contribué à une érosion de la confiance entre les partis et les institutions, mais aussi à une fatigue électorale au sein de la population. Certains citoyens ont développé une forme de désengagement vis-à-vis des élections, tandis que d’autres se tournent vers des initiatives citoyennes pour promouvoir la transparence et la paix électorale.
Ces épisodes traduisent une constante : la difficulté à construire un consensus durable autour du cadre électoral.
V. 2025 L’élection de tous les défis
À quelques semaines du scrutin présidentiel prévu pour octobre 2025, la Côte d’Ivoire semble rejouer une partition familière. L’exclusion de certains candidats par le Conseil constitutionnel, les interdictions de rassemblements politiques, et la contestation du cadre électoral ont ravivé les tensions.
Si, pour l’instant, aucun appel officiel au boycott total n’a été lancé, plusieurs voix de l’opposition dénoncent déjà une élection « non inclusive ». Le PDCI, désormais dirigé par Tidjane Thiam, a refusé l’idée du boycott mais promet une opposition frontale.
Dans l’opinion publique, les craintes sont vives : le souvenir des précédents boycotts et des crises qui les ont suivis hante encore les esprits. L’enjeu pour 2025 est donc crucial : éviter que le scénario du boycott ne se répète et permettre, enfin, un scrutin véritablement inclusif et accepté par tous
Sur six élections présidentielles organisées depuis 1990, la Côte d’Ivoire a connu trois grands boycotts : 1995, 2000 et 2020. À chaque fois, les raisons différaient, mais les conséquences restaient les mêmes : fracture politique, perte de confiance,
légitimité affaiblie.
L’élection de 2025 se déroule dans une atmosphère tendue où plane l’ombre d’un quatrième boycott, symbole d’une démocratie encore en quête d’équilibre. Entre mémoire des crises passées et espoir d’un renouveau démocratique, la Côte d’Ivoire se trouve une fois de plus à la croisée des chemins.